S’initier à la teinture naturelle

Saviez-vous que votre environnement quotidien recèle des trésors insoupçonnés ? Les plantes sauvages qui vous entourent peuvent être comestibles, médicinales ou encore tinctoriales ! Que vous soyez en ville ou à la campagne, il y a des pépites à découvrir, prêtes à alimenter votre créativité !
Découvrons ensemble la teinture naturelle et comment en faire !

  1. Comprendre le processus de la teinture naturelle
  2. DIY teinture naturelle
  3. DIY aquarelle naturelle

Vous êtes-vous déjà demandé de quelle espèce était cet arbre devant lequel vous passiez tous les jours ? Et cette petite fleur qui pousse obstinément sur ce bord de trottoir ou de chemin, comment s’appelle-t-elle ? Si vous êtes déjà capable de répondre à cette petite question, cet article est fait pour vous ! Si cela reste pour vous un mystère total, cet article est d’autant plus fait pour vous !

J’aimerais vous emmener sur ce sentier d’éveil à la reconnaissance botanique, qui peut être source d’une grande joie, de découvertes de plantes aux propriétés extraordinaires, de ressources pour activités ludiques. Et si vous pouviez vous–mêmes redonner vie à cette petite nappe en la colorant naturellement ? Et si vous pouviez faire un cadeau très personnalisé en infusant de la couleur naturelle grâce aux teintures ?

Voici un peu de mon expérience de teinturière naturelle pour vous initier à cette flore colorante et vous donner quelques conseils dans le cadre d’une approche créative. Parce qu’il n’y a rien de plus difficile mais aussi de plus satisfaisant que de regarder autrement son environnement quotidien !
La nature est là, autour de nous, patiente, résiliente. Elle peut nous soigner, nous permettre de colorer, nous nourrir bien sûr. C’est un geste simple, le premier geste probablement, de cueillir, toujours avec respect, et de transformer. On peut à toute saison réaliser une cueillette de plantes sauvages : lors d’une promenade en forêt, sur le chemin de l’école, en longeant le trottoir. Et chez soi, on peut tout aussi bien identifier de quoi piocher et réserver pour plus tard, sans plus de travail que de le mettre au compost.
Vous pouvez bien sûr élargir cette quête en vous formant, en gardant avec vous un livre de reconnaissances des plantes, ou encore en créant votre propre herbier.

Vous pourrez ainsi changer votre regard, expérimenter, mais surtout avoir une action porteuse d’une toute autre dimension. On réfléchit rarement à la façon dont sont teints nos vêtements ou les textiles qui nous entourent. Pas plus qu’aux fibres qui les composent. Malheureusement, la teinture des tissus représente aujourd’hui la deuxième source de pollution de notre planète, et elle est souvent réalisée dans des pays imposant peu de normes, causant des désastres environnementaux et des problèmes de santé graves pour celles et ceux qui la pratiquent. Parce que les colorants sont synthétisés à partir de la pétrochimie, que des produits chimiques lourds sont utilisés, que les eaux rejetées ne sont pas traitées, et aussi car le volume traité est considérable et dépasse ce que peut absorber un écosystème. Réfléchir à la teinture naturelle n’a pas seulement une motivation esthétique, bien que les couleurs créées aient une vibration toute particulière, cela a aussi une portée écologique !
La teinture naturelle respecte votre peau et la nature.

 

COMPRENDRE LE PROCESSUS DE LA TEINTURE NATURELLE

Colorants et couleurs
De nombreuses plantes contiennent des colorants, mais de qualité et de durabilité variables. Les plus fréquents sont les colorants jaunes, contenus par exemple dans l’artichaut, la carotte ou le très emblématique réséda luteola (la gaude), qui donne un jaune très vif, intense et très solide. On peut aussi citer le sophora japonica, de très bonne qualité également, plus doré. Ou encore la reine des prés, qui est aussi une excellente médicinale et comestible. Il n’est pas rare d’ailleurs que les plantes tinctoriales combinent toutes ces potentialités !
Parmi les plus rares, citons les colorants du rouge et du bleu. La garance des teinturiers (rubia tinctoria) est la représentante historique des teintures de rouge. De la famille des rubiacées, elle contient de très nombreuses molécules colorantes. Les fleurs ou fruits que l’on voit rouge ou violet (betterave, cerise…) sont en général peu utilisables sur textile mais peuvent fonctionner sur papier ou en colorant alimentaire !
Pour les bleus, il faut s’intéresser aux plantes dites « à indigo ». En France, on connaît généralement le pastel (isatis tinctoria) mais on pourrait aussi citer la persicaire (renouée, famille des Polygonacées). Il y a aussi d’autres indigotiers tropicaux, les indigofera.

Une fois que l’on a nos 3 couleurs primaires, on peut créer toute la gamme !

Quant aux teintes très foncées, elles sont généralement obtenues grâce aux plantes à tanins. Car les tanins sont des substances qui réagissent aux sels de fer et créent des molécules solides de couleurs foncées. Ainsi on peut obtenir des gris, des bruns foncés, des noirs.

Préparation du bain
On peut teindre à partir de fleurs, mais aussi d’écorces, de racines, de branchages, de feuilles… Pour réaliser le bain de teinture, on fait une décoction des parties végétales réduites en petits morceaux. On porte à ébullition 15 min à 1h. On filtre ensuite les éléments de plantes, que l’on peut composter. Le bain de teinture est prêt !

Teinture
La teinture consiste à immerger un tissu, mouillé et préparé préalablement, dans le bain et à le porter à ébullition pendant 15 min à 1h. Tout est question de bonne préparation du tissu, de la concentration du bain, de temps de teinture.

Fixation
Quand on parle justement de « préparation », il s’agit du traitement préalable à effectuer pour que la couleur tienne dans la fibre : il s’agit du mordançage. Certaines teintures peuvent se faire « en direct » sans mordançage (c’est le cas de l’indigo par exemple) mais il est généralement nécessaire de mordancer les fibres avant teinture pour que celle-ci soit lumineuse, solide, durable.

Mordants
Les mordants sont très souvent des sels métalliques. Le plus utilisé historiquement est l’alun, existant à l’état naturel (servant aussi de déodorant ou cicatrisant). On dissout le mordant dans l’eau et on fait bouillir le tissu dans cette préparation pour le mordancer. Le mordant présente la propriété de s’accrocher solidement dans la fibre et de capter le colorant. La réussite du mordançage conditionne la tenue de la teinture. Les recettes de mordançages varient selon les fibres utilisées et les praticiens.
Il existe d’autres mordants, notamment végétaux, et des pratiques alternatives de mordançage plus écologiques ou plus rapides sont aujourd’hui à l’étude.

Réussir sa teinture
Il est conseillé de laver son tissu préalablement, surtout si c’est un tissu de récupération. Selon la plante utilisée pour la teinture, on réalise ou non le mordançage. On mouille uniformément son tissu dans l’eau avant de l’immerger dans le bain de teinture et on mélange pendant toute la durée de la teinture, pour assurer l’uniformité de la couleur. On le rince bien ensuite et on le laisse sécher à l’ombre.
La teinture végétale, si elle a été correctement effectuée (mordançage et teinture) tiendra bien dans le temps au lavage et à la lumière, si la plante utilisée est de bonne solidité. Certains colorants peuvent être fragiles aux UV.

 

DIY TEINTURE NATURELLE

Matériel
Un panier, des ciseaux, une ou plusieurs petites casseroles en inox, une cuillère en bois, une passoire.
Du textile, de récupération par exemple, comme un torchon en lin ou un lange en coton, une taie d’oreiller, un t-shirt (blancs de préférence).
En option : de la ficelle, élastiques, pinces à linge.
Adjuvants : Alun, fer.
Pour l’alun, vous pouvez en commander sur des sites spécialisés ou utiliser une pierre d’alun achetée en pharmacie. Pour le fer, vous pouvez acheter du sulfate de fer, ou réaliser une solution (d’acétate de fer) en mettant dans un bocal de vieux clous en fer, du vinaigre et un peu d’eau (il faut attendre quelques jours pour que la solution soit « prête » », elle se conserve).

Cueillette sauvage de saison / pour une teinture textile
Dans cette expérimentation, j’ai utilisé : des feuilles de néflier (orangé-rouge), des fougères (vert tendre), des fleurs de cosmos (orange), des fanes de carotte (jaune), ronces (ou feuilles de fraisier) + du fer (gris noir).
Autres possibilités : feuilles de chêne, ortie, coreopsis, eucalyptus…

Processus
Préparez vos décoctions selon la méthode expliquée :
1. Réduisez en petits morceaux et faites bouillir 10 min, filtrez. Pour la quantité de plantes par rapport au tissu, on compte en général le poids équivalent de plantes séchées (si les plantes sont fraîches, elles pèsent plus lourd donc on compte 2 à 3 fois le poids du tissu). Pour la quantité d’eau, elle est fonction du volume du tissu à teindre, il doit pouvoir bouger librement.
2. Mordancez votre textile avec 20% de son poids en alun, faites bouillir 1h. Ne jetez pas votre bain de mordançage ! Bien rincer le tissu. Vous pouvez teindre immédiatement après ou le laisser sécher.
3. Immergez votre tissu humidifié dans le bain de teinture, et faites bouillir 20 min.
Vous pouvez vous amuser, avant de teindre, et créer des ligatures avec des ficelles, des pinces, des élastiques, qui laisseront leur empreinte sur le tissu, c’est le « tye and dye ». Ces motifs en réserve peuvent être aléatoires ou géométriques. La technique du shibori, qui consiste à créer ces motifs en pliant et serrant son tissu, est très ludique !
4. Rincer et laisser sécher, c’est prêt !

 

DIY AQUARELLE NATURELLE

Bonne pioche dans ma cuisine / pour un set d’aquarelle maison

Peindre avec les plantes ?
Une fois que l’on a réalisé un bain de teinture, on pourrait penser que c’est directement utilisable en aquarelle. Il suffit de faire un petit test pour se rendre compte que c’est bien trop dilué. Certains jus de plantes bien concentrés peuvent faire l’affaire, mais pour réellement couvrir du papier, il faut une autre formulation.

Pigments et colorants
En effet, dans le bain de teinture, solubles, nous avons les colorants, prêts à se fixer sur les fibres. Mais pour peindre, nous avons besoin des pigments, forme solide de la couleur, et pour cela le mordant sera nécessaire. Également les tanins en présence de fer vont pouvoir créer une encre utilisable, c’est l’encre la plus ancienne créée par l’Homme.
Une fois que nous avons le pigment, on peut imaginer créer d’autres types d’encres et de peintures en ajoutant des épaississants, des liants, des conservateurs.

Matériel
Du papier, des pinceaux, citron, savon, cendres.
Adjuvant : Lessive de cendres = versez de l’eau bouillante sur quelques morceaux de cendres de bois (chêne par exemple). Patientez 1h et utilisez le liquide surnageant.
Jaune orangé : pelures oignon ou cosmos (avec ajout alun)
Jaune vif : curcuma + citron
Kaki : pelure d’oignon + fer
Gris : peaux de grenade + fer
Violet, rose, bleu, vert : jus de chou rouge

Processus
1. Réalisez des petites décoctions dans peu d’eau (un petit verre), filtrez. Répartissez dans plusieurs petits récipients.
2. Réutilisez votre bain de mordançage et versez une cuillère à soupe dans chaque récipient. L’alun résiduel va permettre de former le pigment à partir du colorant.
3. Le jus doit changer d’aspect, se densifier légèrement. Le bain est devenu « encre ».
4. Pour le chou rouge, un jus à l’extracteur suffit (sans alun), vous obtenez un magnifique violet. Répartissez dans 4 récipients. Pour obtenir le rose, vous ajouterez un filet de citron (acide) ; pour le bleu, vous ajouterez un peu de savon de Marseille dissout ; pour le vert, ajoutez une cuillère à soupe de lessive de cendres ! Les colorants du chou rouge sont très réactifs au pH de la solution, ce qui explique ces changements de couleurs étonnants ! Vous avez 4 couleurs très différentes et prêtes à utiliser.
5. Pour créer les coloris foncés (oignon+fer ou grenade+fer), vous ajouterez non pas de l’alun mais une cuillère à café de votre solution d’acétate de fer (voir plus haut) ou une pincée de sulfate de fer en poudre. Les tanins réagissent immédiatement et l’encre foncée se forme.
6. Utilisez un pinceau pour peindre sur du papier aquarelle !
Ces encres végétales ne se conservent pas longtemps. Il existe des méthodes pour les garder, en y ajoutant un épaississant et de l’huile essentielle.

 

Lorsque nous sommes en lien direct avec le vivant, nous ne pouvons ignorer son impact sur celui-ci. Faire de la teinture naturelle ou des encres végétales, c’est prendre conscience des conséquences de notre pratique, c’est une forme d’engagement.
Évidemment, il serait illusoire de penser que l’industrie textile puisse basculer entièrement vers la teinture naturelle, car cela nécessiterait bien trop de végétaux pour être réaliste à cette échelle. Mais au moins, en la vivant à votre échelle, vous imaginerez d’autres possibles, vous changerez votre regard sur la couleur. J’espère que vous prendrez plaisir à observer et célébrer le vivant autour de vous, et que cette pratique magique vous passionnera autant que moi ! La couleur naturelle est à portée de main, alors lancez-vous !

Aurélia Wolff 
Plus d’infos pour des stages, des ouvrages, des créations : WHOLE.FR
« Teintures végétales », Aurélia Wolff (Editions Eyrolles). En vente sur Nature & Découvertes.